mercredi 20 février 2013

Repères pour le tricentenaire de la naissance de Diderot

Le 1er août 1784, à Paris, on chuchotait à la sortie de l’église Saint-Roch … On venait d’inhumer Diderot sous les dalles de la chapelle de la Vierge, et certains prétendaient que le philosophe n’était pas mort à Paris, mais à Sèvres, et que son corps avait été ramené rue de Richelieu.

Façade de l'église Saint-Roch
Tout avait commencé moins de six mois auparavant, exactement le 19 février, rue Taranne (VIe, disparue au percement du boulevard Saint-Germain), où il habitait depuis trente ans. Ce jour-là, Diderot eut une hémoptysie, et la pieuse Madame Diderot fit venir le curé de Saint-Sulpice, Jean-Joseph Faydit de Tersac, celui qui avait refusé en 1778 une sépulture ecclésiastique à Voltaire. Il fut reçu courtoisement, mais il ne fut point question de conversion. Diderot décida d’aller reprendre des forces à Sèvres, où il avait un pied-à-terre, et s’y installa au mois de mai.



Hôtel de Bezons

Il serait rentré à Paris le 18 juillet. Catherine II, l’impératrice de Russie qui avait fait assassiner son mari Pierre III en 1762, mit à la disposition de Diderot l’hôtel de Bezons, situé au n° 39 de la rue de Richelieu (Ier). C’est là, selon la tradition, qu’il mourut, à table, des complications d’une insuffisance cardiaque, le vendredi 30 juillet 1784, et non le 31 : ce n’est en effet que le lendemain que son gendre déclara au clergé de Saint-Roch que Diderot était décédé le jour même, d’où l’erreur de date qui figure dans l’acte d’inhumation, qui a été détruit :

« L’an 1784, le 1er août, a été inhumé dans cette église M. Denis Diderot, des Académies de Berlin, Stockholm, et Saint-Pétersbourg, bibliothécaire de Sa Majesté Impériale Catherine seconde, Impératrice de Russie, âgé de 71 ans, décédé hier, époux de dme Anne-Antoinette Champion, rue de Richelieu, de cette paroisse ; présents : M. Abel-François-Nicolas Caroilhon de Vanduel, écuyer, trésorier de France, son gendre, rue de Bourbon, paroisse Saint-Sulpice, M. Claude Caroilhon Destillières, écuyer, fermier général de Monsieur frère du Roy, rue de Ménard, de cette paroisse, M. Denis Caroilhon de la Charmotte, écuyer, directeur des domaines du Roy, susd. rue de Ménard, et M. Nicolas-Joseph Philpin de Piépope, chevalier, conseiller d’Etat, lieutt général honoraire au bailliage de Langres, rue Traversière, qui ont signé avec nous curé : Caroilhon de Vanduel, Caroilhon Destillières, Naigeon, Cochin, Caroilhon de la Charmotte, Michel ... Marduel, curé. » [sic]

Les restes mortels de Diderot ont disparu, après le 4 février 1796, quand les sépultures de Saint-Roch furent violées par les soldats qui y tenaient garnison. Au xixe siècle, le caveau fut utilisé pour installer le chauffage.



Statue et maison natale (à droite) de Diderot à Langres

Diderot était né à Langres (Haute-Marne) le 5 octobre 1713, au 1er étage du n° 9 de la place Chambeau (aujourd’hui place Diderot), sur la paroisse Saint-Pierre, et non au n° 6, sur la paroisse Saint-Martin, comme on l’a cru pendant longtemps, maison où il vécut avec ses parents de 1714 à 1728. Le lendemain de sa naissance, il fut conduit par son grand-père paternel, Denis Diderot (1654-1726), et par une tante maternelle, Claire Vigneron, sur les fonts baptismaux de l’église Saint-Pierre, aujourd’hui disparue.
Il fut élève du collège des Jésuites de Langres, qui sera détruit en 1744. Devant succéder à son oncle maternel, Didier Vigneron (1667-1728), il reçut la tonsure le 22 août 1726 des mains de Monseigneur Pardaillan de Gondrin d’Antin.
Dès 1729, Diderot termina ses études à Paris au collège Louis-le-Grand, c’est lui qui le dit, et non pas au collège d’Harcourt, comme le prétend sa fille Marie-Angélique, dans ses soi-disant Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot (Paris, Paulin et A. Mesnier, 1830-1831, 4 vol. in-8). Il fut reçu maître ès arts à l’Université de Paris le 2 septembre 1732. Son père décida qu’il serait clerc de procureur à Paris et le fit entrer chez un ami Langrois, François Clément, dit « de Ris ». Inconstant et primesautier, il quitta cet emploi en 1734 et vécut alors plusieurs années mal connues, teintées de libertinage et de parasitisme.

On a souvent écrit qu’il eut une vie de bohême. Or son père n’a jamais cessé de le ravitailler, tout en sachant que sa femme et sa fille en faisaient autant par l’intermédiaire d’une servante, Hélène Brûlé, qui aurait fait au moins deux fois le voyage de Langres à Paris … à pieds !
Installé dans un garni, Diderot toucha à divers métiers : il donna des leçons, fit des traductions, arrangea des discours, fut pendant trois mois le précepteur des enfants d’un receveur des finances, Elie Randon de Massanes d’Aneucourt.
Vers 1741, il quitta la rue de l’Observance (aujourd’hui Antoine Dubois, VIe) pour s’installer rue Poupée (supprimée par le boulevard Saint-Michel, Ve), sur la paroisse Saint-Séverin. C’est là qu’il fit la connaissance d’Anne-Toinette Champion, née en 1710 à La Ferté-Bernard (Sarthe), dont la mère tenait un petit commerce de lingerie ; toutes deux habitaient sur le même palier que lui. Pour l’empêcher de se marier, le père de Diderot réussit à obtenir une lettre de cachet contre son fils. Quand il fut libéré, il s’installa rue des Deux-Ponts (IVe), sur la paroisse Saint-Louis-en-l’Ile, et se maria le 6 novembre 1743, à minuit, en l’église Saint-Pierre-aux-Bœufs ; cette petite église de la Cité, qui sera démolie en 1837, servait aux mariages conclus sans le consentement des parents. Le père de Diderot n’apprendra le mariage de son fils que six ans plus tard. Cette union était mal assortie, elle ne fut pas heureuse.
Le jeune ménage s’installa rue Saint-Victor (Ve), sur la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet, et dès le 13 août 1744 naquit Angélique, baptisée le lendemain, qui mourut « en nourrice » le 29 novembre suivant.
Les Diderot ne restèrent qu’une année rue Saint-Victor. Dès 1745, ils furent rue Traversière (XIIe). C’est à cette époque que commença une liaison avec la frivole Madame de Puisieux, épouse d’un avocat au Parlement. Cette liaison dura jusqu’en 1749. Entre-temps, Diderot déménagea encore une fois, et c’est rue Mouffetard (Ve) que naquit François-Jacques-Denis, le 22 mai 1746, qui fut baptisé le lendemain à Saint-Médard.
Après la publication de la Lettre sur les aveugles, à l’usage de ceux qui voyent (Londres, 1749), Diderot, déjà suspect, fut arrêté chez lui, au 2e étage du n° 3 de la rue de l’Estrapade (Ve), et détenu au château de Vincennes du 24 juillet au 3 novembre 1749. L’année suivante, Anne-Toinette, alors enceinte pour la troisième fois, eut la douleur de perdre son deuxième enfant : François-Jacques-Denis, âgé de 4 ans, fut emporté le 30 juin 1750 au cours « d’une fièvre violente ».


C’est probablement en 1750 que Diderot rencontra le baron Frédéric-Melchior de Grimm (1723-1807), qui devint son plus grand ami. C’est en octobre de la même année que le « Prospectus » de l’Encyclopédie fut répandu dans le public. Il y eut au total près de 5.000 souscripteurs qui versèrent chacun 956 livres. L’année se termina très mal : Denis-Laurent, né le 29 octobre, mourut fin décembre, le jour de son baptême : « il tomba des bras de la femme qui le portait sur les marches de l’église » Saint-Étienne-du-Mont.
La premier tome de l’Encyclopédie parut le 28 juin 1751 : Diderot avait 38 ans.
Lors d’un premier voyage à Langres en août 1752, Anne-Toinette fit enfin connaissance avec sa belle-famille. Le 2 septembre de l’année suivante naquit Marie-Angélique, rue de l’Estrapade.  C’est en 1754 que les Diderot emménagèrent rue Taranne, au coin de la rue Saint-Benoît, au 4e étage ; la bibliothèque fut installée à l’étage au-dessus. C’est là que s’écoula la plus grande partie de leur existence. Cette même année débuta probablement la liaison de Diderot avec Louise-Henriette, dite Sophie, Volland (1716-1784). Quatre ans plus tard, Diderot se brouilla avec Jean-Jacques Rousseau, qu’il avait rencontré quinze ans auparavant.

Le père du philosophe, Didier Diderot (1685-1759), fit un voyage à Bourbonne-les-Bains à la fin du mois de mai 1759 ; renvoyé chez lui par le docteur Juvet, il mourut le lendemain de son retour, dans son fauteuil, le 3 juin 1759, jour de la Pentecôte, et fut inhumé le surlendemain au cimetière de Langres. La maison paternelle de la place Chambeau devint alors la propriété des trois enfants : Denis, le philosophe, Denise (1715-1797 s.p.) et l’abbé Didier-Pierre (1722-1787 s.p.). Seule Denise l’habita et y mourut ; après sa mot, la maison fut rapidement vendue.

En mars 1765, le général Betzky acheta la bibliothèque de Diderot pour le compte de Catherine II de Russie, lui en laissant l’usage pendant sa vie. Marie-Angélique avait alors 12 ans ; elle en avait 6 quand Diderot commença à envisager de vendre sa bibliothèque : il est donc douteux qu’il la vendit pour constituer la dot de sa fille, qui se maria en 1772 à Saint-Sulpice avec Abel-Françoids-Nicolas Caroillon, dit « de Vandeul ».



Encyclopédie
Paris, Piasa, 6 mars 2012, 28.933 €

L’Encyclopédie était achevée : 17 volumes de textes et 11 volumes de planches, imprimés par Le Breton et publiés de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot. Celui-ci pouvait enfin répondre à l’invitation de Catherine II. Il quitta Paris le 11 juin 1773, séjourna à La Haye et arriva à Saint-Pétersbourg le 8 octobre, quitta la Russie le 5 mars 1774 et fut de retour à Paris le 21 octobre.

Les Diderot vécurent leurs dernières années entourés des Caroillon et de leurs petits-enfants, « Minette » et « Fanfan ». Anne-Toinette Diderot mourut le 10 avril 1796 à Paris, au n° 742 de la rue Caumartin (IXe).


Denis Diderot
Plâtre bronzé par Jacques-Antoine Houdon

On raconte que les Diderot sont venus de Franche-Comté et se sont fixés à Langres au xve siècle. Le père du philosophe, Didier, devint maître coutelier, comme son père. Après son mariage en 1712 avec Angélique Vigneron (1677-1748), il s’installa sur la paroisse Saint-Pierre, puis sur la paroisse Saint-Martin en 1714. Didier et Angélique eurent sept enfants : Denis, le philosophe, très souvent désigné comme étant l’aîné, fut le second.
À la veille de la Révolution, il n’existait plus à Langres qu’un seul chef de famille du nom de Diderot, la « sœurette » Denise. Depuis plus de deux siècles, les Diderot ont complètement disparu de la ville de Langres. L’arrière-petit-fils de Marie-Angélique Diderot, épouse Caroillon, Charles-Denis Caroillon de Vandeul, dit « Albert de Vandeul », dernier du nom, né en 1837, mourut le 16 mai 1911 au château d’Orquevaux (Haute-Marne).
  

4 commentaires:

  1. Diderot, je suis fan !

    Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais-Royal. C’est moi qu’on voit, toujours seul, rêvant sur le banc d’Argenson. Je m’entretiens avec moi-même de politique, d’amour, de goût ou de philosophie. J’abandonne mon esprit à tout son libertinage. Je le laisse maître de suivre la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit dans l’allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d’une courtisane à l’air éventé, au visage riant, à l’œil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s’attachant à aucune.

    J’ai toutes les E.O. la lettre sur les aveugles, le Neveu de Rameau, Jacques le fataliste …

    T

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  2. Je suis mexicaine, et je fais un doctorat dans Universidad de Guanajuato, je me specialicé dans Diderot et les Lumiéres! Votre texte est trés interesante et pour moi est nostalgique, parce que pendant huit ans j'ai étudié la philosophie de Diderot et D'Holdbach avec plus passion! Merci beaucoup pour les images et les explications!

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    1. Très heureux de savoir que je suis lu au Mexique ! Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.

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