lundi 27 mai 2013

Henri-Louis Habert de Montmort, homme de science

La famille Habert, originaire de l’Artois, était honorablement connue à Paris dès le début du seizième siècle : Philippe Habert, procureur, clerc du greffe criminel du Parlement de Paris, seigneur du Mesnil-Saint-Denis (Yvelines), épousa en 1519 Radegonde Hodon, fille d’Antoine Hodon, secrétaire du Roi, et de Jacquette Budé, sœur de Guillaume Budé (1467-1540), le célèbre helléniste du Collège de France.



En 1592, Montmort, sur la commune de Les Essarts-le-Roi (Yvelines), est érigé en fief par Charles d’Angennes, seigneur d’Auffargis (Yvelines), en faveur du fils de Philippe Habert, Louis Habert (1530-1622), seigneur du Mesnil-Saint-Denis, qui fit construire un manoir, à l’emplacement de la ferme qui existe aujourd’hui. En dépit de l’ancienne orthographe du nom, « Montmor » [en latin « Mon-morius »], sur lequel parut un curieux poème où l’auteur joue sur la triple étymologie du mot (« mons mortis », « mons moris », « mons mori »), sans en oublier la terminaison dorée (« or »), on devrait donc l’écrire aujourd’hui avec un « t » final, « Montmort », ce que fit La Chenaye-Desbois dans son Dictionnaire de la noblesse (Paris, Antoine Boudet, 1774, t. VII, p. 604-606).  

Chacun des membres de la famille Habert a laissé une œuvre d’art toujours visible aujourd’hui :



Louis (1530-1622), trésorier de l’extraordinaire des guerres, le château du Mesnil-Saint-Denis (Yvelines), construit en 1589, agrandi et modifié au xviie siècle ;



son fils Jean (v. 1570-1639), dit « le Riche », trésorier de l’épargne, l’hôtel de Montmort à Paris, 79 rue du Temple (IIIe), construit en 1623, agrandi et modifié au xviiie siècle ;



le fils de ce dernier, Henri-Louis (1603-1679), le tableau de Philippe de Champaigne représentant ses sept enfants en 1649 (Musée des Beaux-Arts, Reims, Marne) ;



l’arrière-petit-fils de Jean, Louis (1645-1695), évêque de Perpignan (Pyrénées-Orientales), son tombeau dans la cathédrale.



Henri-Louis Habert, seigneur de Montmort, conseiller au Parlement de Paris le 11 septembre 1625, maître des Requêtes le 6 avril 1632, dont on disait qu’il « aime les lettres, s’explique avec peine, est lent, timide, et peu appliqué à sa charge », occupa dignement le 35e fauteuil, dit « de Cuvier », de l’Académie française, de 1634 à sa mort, arrivée le 21 janvier 1679. Il était cousin de Philippe Habert (1605-1637), militaire et poète, qui était au 11e fauteuil, et de Germain Habert (1614-1654), abbé de Cérisy-la-Forêt (Manche), qui était au 12e.



Médaille : avers, buste à droite de H.L. Habert de Montmor ; revers, buste à droite
de Marie de Buade, à côté d'elle son fils Henri-Jean, en regard ses trois autres fils,
Balthasar, Louis et Jean-Paul.


Il avait épousé, le 29 mars 1637, Henriette-Marie de Buade de Frontenac (v. 1618-1676), sœur du futur gouverneur de la Nouvelle-France, qui lui donnera quinze enfants, la plupart morts en bas-âge. La perte de plusieurs de ses enfants, la banqueroute frauduleuse de son fils aîné en 1669 et la disparition de sa femme en 1676 furent la cause de sa « mélancolie mortelle ». Il décéda le 21 janvier 1679 et fut inhumé le surlendemain en l’église Saint-Nicolas-des-Champs, dans la chapelle de Saint-Joseph.

Ami et admirateur de Descartes, il fut un protecteur éclairé des sciences et des lettres. Ses goûts, qui étaient littéraires au début – il fréquenta l’hôtel de Rambouillet et participa à La Guirlande de Julie –, devinrent peu à peu scientifiques. Une fois par semaine, une assemblée de savants se tenait chez lui, où on traitait des matières de physique, préfiguration de l’Académie royale des sciences. Bien que rival de Descartes, mort à Stockholm en 1650, le célèbre philosophe Pierre Gassendi (1592-1655) vécut chez Montmort à partir de 1653 et y mourut. Montmort lui fit ériger un mausolée, aujourd’hui disparu, en l’église de Saint-Nicolas-des-Champs, dans la chapelle de sa famille, et se chargea, avec François Henri (1615-1686), avocat au Parlement de Paris et patrice de Lyon, de rassembler tous ses ouvrages qui furent édités sous le titre Petri Gassendi Diniensis ecclesiae praepositi (Lyon, L. Anisson, 1658, 6 vol. in-fol.) ; il orna cette édition d’un avis aux lecteurs en latin de quatre pages, le seul ouvrage de lui qui ait été imprimé, à part quelques vers et épigrammes conservés dans les recueils du temps.  



C’est à l’hôtel de Montmort que Molière lut  en 1664 son Tartuffe alors interdit et que Jean-Baptiste Denis (1635-1704), médecin de la Faculté de médecine de Reims, réalisa les premières expériences de transfusion sanguine d’un animal vers l’homme en 1667. Cartésien fidèle, Montmort sera de ceux qui, le 25 juin 1667, menèrent le corps de Descartes, retour de Suède, à l’église Sainte-Geneviève.  

Montmort possédait un cabinet de curiosités et une bibliothèque, dont l’un des plus beaux livres était une édition in-folio de Ronsard datée de 1609, conservée aujourd’hui à Chantilly, dans la collection Lovenjoul : elle a appartenu à Sainte-Beuve, qui en fit don à Victor Hugo. Celui-ci en utilisa les marges, comme album, où il priait ses amis d’écrire quelques vers : c’est ainsi qu’on peut y lire des poèmes autographes de Sainte-Beuve, Fontaney, Lamartine, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, et de Victor Hugo lui-même.

De Paris, le vendredi 30 janvier 1654, Gui Patin avait écrit à Charles Spon :

« J’ai aujourd’hui dîné avec M. Gassendi chez M. H. de Montmor, maître des requêtes, qui m’en envoya hier prier. Il m’a fait voir ses livres, qui sont beaux et en grand nombre : il m’a fait promettre que je l’irois voir une fois la semaine, mais je n’ai pas promis que ce seroit à dîner ; on perd trop de temps en telles cérémonies. Je dîne céans à mon aise en un bon quart d’heure. Il dit qu’il veut venir voir mes livres ; je pense qu’il prétend aussi que je serai son médecin, mais je ne sais si nous nous accorderons bien, car il aime la chimie, il n’est pas encore détrompé tout-à-fait de l’antimoine, qui est ici fort déchu et décrié ; sa femme même, qui est d’un esprit curieux, versatur in ea hæresi. Elle est aussi pour la poudre des jésuites[le quinquina], de laquelle je n’ai vu dans Paris aucun bon effet. […]
M. de la Tercerie, qui mourut ici l’an passé, et qui étoit médecin de madame la duchesse d’Orléans, avoit une assez belle bibliothèque que les libraires vouloient acheter. Enfin, M. H. de Montmor, duquel je vous ai parlé ci-devant, l’a achetée. Il y avoit là-dedans de forts bons livres ; tout ce que j’en ai vu est bien choisi. » [sic] 

Sa bibliothèque avait été commencée par son cousin du Berry, Isaac Habert, fils d’un valet de chambre du roi, chanoine et théologal de l’Eglise de Paris, puis évêque de Vabres (Aveyron) en 1645, mort en 1668, qui avait reçu de sa tante Suzanne Habert, morte en 1633, un grand nombre d’ouvrages manuscrits.



(Esmerian, vol. II, 1972)


Giannotti. Dialogi de Republica Venetorum.
Leiden, Elzevier, 1631, in-12

Montmort avait fait revêtir sa collection elzévirienne d’une reliure attribuée d’abord à Le Gascon, puis à Macé Ruette (1584-1638), relieur ordinaire du Roi : en maroquin rouge, décorée sur les plats d’un double filet d’encadrement poussé très près des bords et de la charnière, avec petit quadrilobe central mosaïqué de maroquin noir portant les lettres entrelacées H L H M et quatre fermesses dorées [ou : à petit quadrilobe central mosaïqué de maroquin olive portant des petits fers dorés] et entouré de quatre compositions de petits fers filigranés dorés disposés en bouquet, le tout inscrit dans un encadrement intérieur quadrilobé composé de deux filets dorés et marqué aux angles d’un fer filigrané doré, à type de vase de fleurs ou de gerbe ; dos à cinq nerfs marqués d’un filet pointillé doré, les entrenerfs ornés d’un fer central filigrané et encadrés d’un double filet doré, le titre doré dans le 2e entrenerf ; tranches dorées ; tranchefiles simples bicolores ; coupes marquées d’un filet pointillé doré ; chasses décorées d’une roulette à motif végétal ; contregardes et gardes en papier marbré.


Marolles. Tableaux du Temple des Muses
(Paris, Sommaville, Langlois, 1655, in-fol.)
Drouot, 17 décembre 2007, 25.000 €

D’autres livres furent reliés en maroquin rouge, avec ses armes au centre des plats : « D’azur, au chevron d’or, accompagné de 3 anilles ou fers de moulin d’argent2 en chef, 1 en pointe. »



Tourville. Exercice en général de toutes les manoeuvres qui se font à la mer.
(Brest, R. Malassis, s. d.)
Drouot, 17 juin 2010

La bibliothèque fut vendue à partir de 1682, dont des manuscrits latins anciens achetés par Colbert.


5 commentaires:

  1. Connaissant bien la famille Habert pour être né sur leur fief quelques années plus tard, je me permets une petite rectification : Isaac Habert II (l’évêque) n’était pas le fils mais le petit fils du valet de Chambre du roi d’Henri III, Pierre Habert. Son père, Isaac Habert I était valet de Chambre d’Henri IV. La bibliothèque en question avait été initialement constituée par Pierre (il était ami de Robert Granjon, et sans doute l’inspirateur des caractères de civilité forgés par celui-ci) et pieusement conservée par Suzanne, qui l’a sans doute ensuite transmise à son neveu.
    Textor

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    1. Merci pour cette précision sur une partie de la vie de Isaac Habert (II),qui était fils de Isaac (I) et petit-fils de Pierre,tous deux valets de chambre du roi Henri III, son père Isaac (I)ayant été ensuite, après la mort de Henri III en 1589,valet de chambre du roi Henri IV.
      Sur ce personnage ici "secondaire", je me suis contenté des indications que Louis Moreri donne dans son "Dictionnaire historique" (1759, t. V, p. 479) :

      "HABERT (Pierre)seigneur de Ternes, conseiller & secrétaire du roi Henri II, valet de chambre ordinaire de Henri III, & son secrétaire du cabinet, étoit frère de François, & composa comme lui divers ouvrages. Ses enfants furent, 1. ISAAC Habert, qui a aussi écrit, & qui fut comme son père valet de chambre de Henri III & son secretaire du cabinet. Il vécut jusque par-delà 1600. Il étoit né à Paris, & fut père d'ISAAC Habert mort évêque de Vabres,dont nous parlons plus bas. 2. Suzanne Habert, dame du Jardin, dont nous allons parler. * La Croix du Maine, biblioth. franç."

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    2. Cher Textor,j'ai oublié : je fais la correction minimale.

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  2. :) Merci ! Pierre Habert venant d'Issoudun en Berry avait acheté une terre à la campagne, ancienne villa romaine ( la villa esterna rotulum) et en avait fait un joli chateau renaissance. Le chateau fut transformé au XVIIIème siècle et le parc, où herborisait JJ Rousseau, loti au XIXème s. Dans mon enfance, il restait encore quelques bosquets épars qui ont disparus depuis. Les livres de pierre Habert sont difficile à trouver ....mais je m'éloigne de votre sujet !!

    Textor

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  3. Je travaille sur l'église Saint-Nicolas-des-Champs à Paris,et je n'arrive pas bien à comprendre où se situait exactement la chapelle des Montmor. De façon à peu près certaine, Jean Habert a acquis la chapelle n°34 (la deuxième, à droite)en 1598 et y fut inhumé en 1639. Cette chapelle était certes sous le vocable de Saint-Joseph, selon un recensement de 1781, mais n'était-ce pas plutôt parce que siège de la confrérie des charpentiers ? J'ai en effet l'impression que Henri-Louis s'est transféré dans une chapelle neuve, plus grande, dans le déambulatoire nord (la n° 16 aux Saints-Anges, plus tard Sainte-Cécile et que c'est là qu'il dressa un monument à Gassendi et qu'il fut lui-même inhumé. C'est ce qu'écrivait l'abbé Pascal en 1841.
    Je suis donc embêté de lire sous votre plume qu'Henri-Louis a été inhumé dans la chapelle Saint-Joseph. Pouvez-vous me le confirmer ?
    Michel

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