mercredi 8 mai 2013

Huet, le « savant des savants »

Pierre-Daniel Huet, dont le père était magistrat, ex-calviniste converti à la foi catholique, est né à Caen (Calvados), au n° 142 de la rue Saint-Jean, devant l’église Saint-Jean, le 8 février 1630.



Localisation de la maison natale de Huet sur le plan de Caen en 1705


À la Révolution, Charlotte Corday habitera au n° 148, à l’emplacement du n° 114 aujourd’hui. Tout le quartier, comme 75% de la ville, sera détruit par les bombardements alliés en 1944, « une des attaques aériennes les plus inutiles de la guerre ».



Emplacement de la maison natale de Huet en 1944


Orphelin de père à trois ans, puis de mère à six ans, il fut recueillit par une de ses tantes. Après des études brillantes, il fit en 1650 son premier voyage à Paris, dans le but d’acheter des livres et de rencontrer des savants : Denis Pétau, Philippe Labbé, François Vavasseur, Gabriel Cossart, René Rapin, Jean Commire, Jacques Sirmond, Étienne Deschamps, Jean Garnier, les frères Pierre et Jacques Dupuy, François Guyet, Ismaël Boulliau, Pierre Lambécius et Gabriel Naudé.
En 1652, il accompagna le pasteur Samuel Bochart (1599-1667), invité par la reine Christine de Suède, et explora les trésors littéraires de ce pays. Intégré à l’Académie de Caen dès son retour deux ans plus tard, il fit sa licence en droit civil et canon à l’Université de Caen et devint sous-précepteur du Dauphin en 1670, pour seconder Bossuet. C’est alors qu’il entreprit et dirigea l’exécution des belles éditions des classiques latins « ad usum Delphini » : dix-huit titres parurent de 1674 à 1680.



Géomètre, physicien, antiquaire, hébraïsant, helléniste, latiniste et poète, il acquit la réputation d’être « de ces gens contre lesquels il n’est pas possible d’avoir raison ». Il entra à l’Académie française en 1674, fut ordonné prêtre en 1676 et nommé à l’évêché de Soissons (Aisne) en 1685. Rome n’envoyant pas les neuf bulles nécessaires, il permuta avec Fabien Brûlart de Sillery pour l’évêché d’Avranches (Manche) en 1689.




Dix ans plus tard, invoquant son état de santé et le « mauvais air » d’Avranches, il résigna et reçut en compensation l’abbaye Saint-Étienne de Fontenay, à Saint-André-sur-Orne (Calvados) ; il jouissait déjà, depuis 1679, de celle d’Aunay-sur-Odon (Calvados).




Il s’installa alors à Paris, chez les Jésuites, et se livra tout entier à l’étude. En 1712, il fut atteint d’une maladie qui l’affaiblit et altéra considérablement sa mémoire. Il mourut le 26 janvier 1721 et fut inhumé en l’église Saint-Paul-Saint-Louis, dans le quartier du Marais (IVe).

De toutes ses publications, son traité sur la traduction, De Interpretatione (1661), ses commentaires sur l’édition d’Origène, Origeniana (1668), son Traitté de la situation du Paradis terrestre (1691) et son traité sur les navigations attribuées à Salomon, De Navigationibus Salomonis (1698), sont considérés comme des chefs-d’œuvre par de nombreux critiques.

Huet possédait une des plus belles bibliothèques de son temps. Après avoir hésité longtemps sur le choix de sa destination future, il la légua, en 1692, à la maison professe des Jésuites de Paris (IVe), occupée aujourd’hui par le lycée Charlemagne, sous certaines conditions. Elle fut installée, de son vivant, dans une partie réservée de cette maison, où il se retira lui-même et vécut jusqu’en 1721.
Mais en 1763, quand les Jésuites furent bannis et leurs biens mis en vente, l’abbé Michel-Gabriel Piédoue de Charsigné (1705-1775), petit-neveu [et non neveu] et légataire universel de Huet, la réclama en justice, les principales clauses du legs se trouvant alors violées. Un arrêt du Conseil du Roi du 15 juillet 1763 fit droit à sa demande. L’impératrice de Russie fit offrir cinquante mille écus à l’abbé de Charsigné de la bibliothèque de son grand-oncle ; mais il préféra en faire hommage à Louis XV, qui se contenta de consigner une rente de 1.750 livres, au capital de 35.000 livres, en faveur du donateur, puis de ses héritiers. Cette rente a été acquittée jusqu’en 1792.
Parmi ces livres, au nombre de 8.271 volumes, « compris 200 volumes manuscrits » (Nicolas-Thomas Le Prince. Essai historique sur la bibliothèque du Roi. Paris, Cabinet historique, 1856, p. 91), ou 8.312 volumes, « non compris les manuscrits » (François-Amand de Gournay. Huet, évêque d’Avranches. Caen, Le Gost-Clérisse, 1854, p. 41), on  garda ceux qu’on n’avait pas, et les doubles de ceux qu’on avait déjà quand ils étaient plus beaux. Le reste fut échangé ou vendu, et c’est ainsi qu’on en trouve dans le commerce une certaine quantité.



Huet avait un Grolier qui passa chez l'Anglais Heber : Freculphi Episcopi Lexoviensis chronicorum (Coloniae, 1539, in-fol., v. fauve).



Notes manuscrites de Huet

La plupart de ces livres sont remarquables par la beauté des exemplaires, et précieux par les savantes notes que Huet y avait ajoutées de sa main. Il y a des volumes qui en sont couverts, notamment les chefs-d’œuvre de l’antiquité, si familière à l’illustre prélat. Ils sont presque tous en veau fauve ou brun et d’une grande simplicité de reliure. Il en prenait le plus grand soin et il avait des sacs de cuir faits exprès pour ceux qu’il emportait en voyage.


Tous les volumes, à très peu d’exceptions près, portent ses armes frappées sur les plats extérieurs : « D’azur, à 2 mouchetures d’hermines d’argent en chef, et 3 grillets [grelots] renversés d’or en pointe ».
Dans l’intérieur, on trouve les mêmes armoiries gravées sur un ex-libris, dont il existe au moins trois types, que les Jésuites y placèrent avec l’inscription suivante, qui rappelle la donation à ces religieux :




« Ex libris Bibliothecae quam Illus : trissimus Ecclesiae Princeps. D. PETRUS DANIEL HUETIUS. Episc. Abrincensis Domui Professae Paris. PP. Soc. Jesu Integrā vivens donavit An. 1692. »



« Ex Libris Bibliothecae quã Illustriss. Ecclesiae Princeps D. PETRVS DANIEL HVETIUS Episcopus Abrincensis Domui Professae Paris. PP. Soc. Iesu Integram Vivens Donavit. Anno. 1692 »



« Ex Libris Bibliothecae quam Illustrissimus Ecclesiae Princeps D. PETRUS DANIEL HUETIUS. Episcopus Abrincensis Domui Professae Paris. PP. Soc. Jesu integram vivens donavit Anno 1692 »



Au bas de chaque page de titre on voit en outre, sur une bande imprimée et rapportée, cette formule : « Ne extra hanc Bibliothecam efferatur. Ex obedientiâ. »

Il n’existe pas de catalogue imprimé de cette bibliothèque, mais toutes ses richesses furent comprises dans celui de la maison professe de la rue Saint-Antoine, que l’on dressa en 1763 pour la vente : Catalogue des livres de la bibliotheque de la maison professe des ci-devant soi-disans Jesuites (Paris, Pissot et Gogué, 1763, in-8, xx [i. e. xxiv]-[2]-448-59-[1 bl.] p., 7.252 lots), avec une table des auteurs.


« Le Catalogue que nous présentons au Public est composé de plusieurs Bibliotheques, parmi lesquelles celles de Menage & du fameux Huet tiennent le premier rang. Ces deux Sçavans sont trop connus pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans quelque détail à leur sujet. La vaste littérature de l’Evêque d’Avranches doit faire juger du choix de sa collection. Menage, outre les livres qu’il avoit rassemblés, avoit acheté ceux de François Guyet. […] Plusieurs livres sont chargés de remarques, d’additions, ou de variantes, manuscrites, & particulierement les Auteurs Grecs & Latins : Nous avons eu soin de les annoncer. Une grande partie de ces Notes est de M. Huet : mais n’ayant pas assez de certitude pour assurer qu’elles sont toutes de lui ; nous avons été très réservés à le nommer. » [sic]

Les organisateurs de la vente agissaient au nom du Parlement, suite à l’ordonnance du 6 août 1762 décidant de la vente du mobilier des Jésuites. Celle-ci, initialement prévue « au mois de décembre [1763] », n’aura finalement lieu qu’en 1765, du 15 avril au 3 juillet. On avait retiré les livres ayant appartenu à Huet, quand ses héritiers en eurent obtenu la restitution.
La famille de Huet avait conservé une assez volumineuse collection de manuscrits. Un grand nombre furent achetés par la Bibliothèque impériale, en 1858. Les plus importants, comprenant les lettres adressées à Huet, sont tombés dans les mains de Libri, qui en a détaché de nombreuses pièces pour les vendre en détail et qui a cédé le reste, qui remplit trente volumes, à lord Ashburnham.   

5 commentaires:

  1. Très intéressant. Rien à voir avec le sujet : quel est l'auteur de la citation " une des attaques aériennes les plus futiles de la guerre" ? inutile peut-être mais "futile" ?????

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  2. j'ai oublié de signer le message précédent . Patrick C.

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    1. Max Hastings dans son livre "Overlord.D-Day and the Battle for Normandy", car les Allemands étaient positionnés au nord de la ville et non dans la ville même.
      S'agit-il effectivement d'une traduction approximative ? Mais on comprend néanmoins très bien ce que cela veut-dire.


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  3. si le mot anglais employé par Hastings était "futile" c'est un "faux-ami". Si en anglais il peut quelquefois avoir le sens frivole qu'a son homonyme français, il s'emploie le plus souvent pour dire qu'une chose, une action est vaine ou inutile. Ce qui était effectivement bien le cas de ce bombardement
    Ceci sous toute réserve car je ne suis pas professeur d'anglais mais j'en lis beaucoup.
    Mais nous sommes loin du sujet de l'article.
    Patrick C.

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    1. Il s'agit donc bien d'une erreur de traduction, que je corrige d'autorité. Merci pour cette précision.

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