mercredi 19 juin 2013

L’Épigramme de Pons de Verdun

De nombreux biographes le prénomment Robert, sans raison connue, et le font naître en 1749, à cause d’un distique intitulé « Sur mon âge » qu’il a publié dans Les Loisirs ou Contes et poésies diverses (Paris, Brasseur aîné, 1807, in-8, p. 103) :

« J’ai vu le jour en mil sept cent quarante-neuf ;
Si je ne suis pas vieux, las ! je ne suis pas neuf. »

En réalité, Philippe-Laurent Pons est né le 17 février 1759, à Verdun, et fut baptisé le lendemain en l’église Saint-Pierre-l’Angelé, la première et la plus ancienne du diocèse, située dans la ville haute, vers le milieu de la rue Saint-Pierre, à droite, quand on montait du Pont Neuf à la Citadelle, qui fut détruite en 1793 :

« L’an mil Sept cent Cinquante neuf Le dix Sept feuvrier est né en cette Paroisse et Le Lendemain dix huit a été baptisé par nous Pretre Curé Soussigné Le fils du sr Laurent Pons, Marchand Confiseur et de marie anne Pierson son Epouse, au quel on a imposé Le nom de Philippe Laurent. Le parrain a été Le sr Philippe françois Dupaix apoticaire, et La marraine Elizabeth Pierson sa femme, oncle et tante a L’enfant qui ont signé avec nous, tous demeurans en cette ville. » [sic]

Son père, Laurent Pons, était donc marchand confiseur dans cette ville où, un jour de 1220, un apothicaire avait inventé la fameuse dragée qui, depuis 1750, était fabriquée lisse et satinée.

Comme beaucoup d’autres à cette époque, Pons céda à la manie d’utiliser une particule dite « de courtoisie », c’est-à-dire dépourvue de valeur nobiliaire et réservée à un usage mondain : il était « de Verdun », comme Arouet était « de Voltaire », Jean le Rond « d’Alembert », Caron « de Beaumarchais » et Fabre « d’Églantine ».

Il partit faire son droit à Paris. Il logeait alors dans un petit hôtel pour étudiants, rue des Anglais, aujourd’hui dans le Ve arrondissement, près de la place Maubert. Il établit des relations d’amitié avec deux poètes qui habitaient avec lui, Jean-François Collin d’Harleville (1755-1806) et François Andrieux (1759-1833), qui devinrent avocats comme lui, mais firent une carrière d’auteurs dramatiques et furent élus à l’Académie française en 1803.



Il publia en 1778 un recueil in-12 d’épigrammes, de réflexions morales, de contes et autres pièces, réédité en 1780, en 1781 et en 1783. L’édition « la plus complète » est intitulée Les Loisirs ou Contes et poésies diverses (Paris, Brasseur aîné, 1807, in-8, 198 p.). On y trouve, à la page 9, la fameuse épigramme, souvent transcrite de façon erronée, dont le titre est « Le Bibliomane » :



Dès avant la Révolution, différentes publications firent de fréquents emprunts aux textes du poète verdunois. Dans le Journal de Paris du 12 janvier 1779, il eut la surprise de lire, sous le nom de Voltaire, une pièce de vers dont il était l’auteur, adressée à Madame la comtesse de Boufflers, en réponse à ceux qu’elle avait envoyés au philosophe sur le bruit qui courut à Paris qu’il était mort. Il la réclama dans le Journal du 7 février suivant et la publia dans son Recueil de contes et poésies en vers (Londres, s.n., 1783, in-12). Elle ne figure pas dans l’édition « la plus complète » de 1807.

Avocat au Parlement de Paris à partir de 1780, les plaidoyers de Pons n’ont pas laissé de souvenir impérissable. D’évidence, cet homme sérieux et bon préférait la poésie. Pierre Larousse prétend qu’Antoine Rivarol (1753-1801) l’avait surnommé « la providence des almanachs ». En réalité, le brillant polémiste qualifiait ainsi l’opportuniste chevalier Michel de Cubières (1752-1820), dans Le Petit Almanach de nos grands hommes, pour 1788 (s.l., s.n., in-12). Mais il est vrai que Pons fournissait annuellement de nombreuses pièces de vers à l’Almanach des Muses. Fondé en 1765 par le publiciste Claude-Sixte Sautreau de Marsy (1740-1815), qui en sera le directeur jusqu’en 1793, et publié chez le libraire Nicolas-Augustin Delalain (1735-1806) jusqu’en 1794, cet almanach paraîtra jusqu’en 1833. Le recueil intitulé Pièces échappées aux XVI premiers almanachs des Muses (Paris, veuve Duchesne, 1781, in-12) renferme aussi des vers et des épigrammes de Pons de Verdun.



Enthousiasmé par la Révolution, Pons fut nommé juge au tribunal du Ier arrondissement de Paris. En 1792 il remplit les fonctions d’accusateur public près le tribunal de la capitale, avant d’être élu, le 4 septembre, député à la Convention nationale par le département de la Meuse. Deux jours avant son élection, la ville de Verdun avait ouvert ses portes à l’armée prussienne qui l’assiégeait depuis le 29 août, et des femmes avaient voulu offrir des fleurs et des dragées au roi de Prusse. En 1794, douze des quatorze « vierges [sic] de Verdun », âgées de vingt-deux à soixante-neuf ans, déclarées complices d’avoir livré la place aux ennemis, seront condamnées à mort. Pons fut accusé d’être l’instigateur de cette condamnation alors qu’il avait déclaré que les habitants de Verdun n’avaient pas démérité de la patrie et que son nom n’avait jamais figuré dans les actes du procès. Malgré cela, Chateaubriand, l’ancien émigré enrôlé dans l’armée des princes, répétera cette calomnie dans ses Mémoires d’outre-tombe (Paris, Eugène et Victor Penaud frères, 1849, 12 vol. in-8, t. III, p. 111) :

« L’instigateur du massacre des jeunes filles de Verdun, fut le poétereau régicide, Pons de Verdun, acharné contre sa ville natale. Ce que l’Almanach des Muses a fourni d’agents de la Terreur est incroyable ; la vanité des médiocrités en souffrance produisit autant de révolutionnaires que l’orgueil blessé des culs-de-jatte et des avortons : révolte analogue des infirmités de l’esprit et de celles du corps. Pons attacha à ses épigrammes émoussées la pointe d’un poignard. Fidèle apparemment aux traditions de la Grèce, le poète ne voulait offrir à ses dieux que le sang des vierges : car la Convention décréta, sur son rapport, qu’aucune femme enceinte ne pouvait être mise en jugement. »

Dans le procès du roi Louis XVI, au mois de décembre 1792, Pons se prononça pour la peine de mort : « Louis a été accusé par la nation entière d’avoir conspiré contre la liberté ; vous l’avez déclaré convaincu de cet attentat, ma conscience me dit d’ouvrir le code pénal et de prononcer la peine de mort. » En 1793, il dénonça Jean-Baptiste Marino (1767-1794), agent du comité de sûreté générale à Lyon, qui se servait de sa position pour obtenir des avantages en nature et en argent. L’année suivante, il fit voter qu’aucune femme accusée de crimes entraînant la peine capitale ne pourrait subir le jugement si elle était reconnue enceinte. En 1795, rappelant la générosité du général vendéen Charles-Melchior-Artus de Bonchamps (1760-1793) qui avait obtenu la grâce de soldats républicains prisonniers à Saint-Florent-le-Vieil en 1793, il sauva sa veuve condamnée à la peine de mort par la commission militaire de Nantes. De 1795 à 1799, Pons siégea au Conseil des Cinq Cents, qui avait l’initiative des projets de loi. Un jour de 1798, pendant qu’on y discutait sur les malversations reprochées à Ange-Etienne-Xavier Poisson de La Chabeaussière (1752-1820) dans l’administration du Théâtre des Arts, ou Opéra, Pons composa et fit circuler la pièce suivante :

« Sous ses ordres, quand l’Opéra
                                                   De faillir essuya la honte,
                                                   Habilement il s’en tira
                                                   En évitant de rendre compte.
                                                   N’ayant volé qu’un peu d’argent,
                                                   Il n’eut qu’un peu d’ignominie ;
                                                   Petit poisson deviendra grand,
                                                   Pourvu que Dieu lui prête vie. »

L’affaire ayant été portée devant les tribunaux, La Chabeaussière, dont les premiers essais poétiques étaient parus dans l’Almanach des Muses, fut acquitté.
Pons était membre du « Portique Républicain », ou « Institut libre », société littéraire qui excluait les membres de l’Académie française et qui fut fondée en 1798 par les chevaliers Antoine-Pierre-Augustin de Piis (1755-1832) et Michel de Cubières, auteurs, eux aussi, de quelques pièces publiées dans l’Almanach des Muses.

Rallié à Bonaparte après le coup d’État du 18 brumaire, Pons devint commissaire près le Tribunal d’appel du département de la Seine. C’est alors qu’il publia un Portrait du général Suwarow. Dialogue sur le congrès de Rastadt (Paris, Dabin, an VIII, in-8). Il fut nommé substitut du procureur général près la Cour de cassation en 1801, reçut la décoration de la Légion d’honneur en 1804 et assura les fonctions d’avocat général près la même cour de 1810 à 1815. Pons avait le projet de publier une Bibliothèque des livres singuliers, c’est-à-dire d’ouvrages intéressant les bibliophiles, en théologie, en droit, en sciences et arts, en littérature et en histoire. Celle concernant les livres de droit se trouve p. 246-335 des Questions illustres ou Bibliothèque des livres singuliers en droit (Paris, Tardieu Denesle, 1813, in-12), par l’ancien avocat et ex-juge au Tribunal du département de la Seine Julien-Michel Dufour de Saint-Pathus (1757-1828), dont plusieurs articles ont en outre été faits sur des exemplaires faisant partie de la bibliothèque de Pons :

« Ce livre et la majeure partie de ceux dont je donne l’analyse m’ont été communiqués par M. Pons de Verdun, avocat général à la Cour de Cassation, dont la bibliothèque est peut-être la plus riche en livres singuliers. » [p. 3]

Banni comme régicide, Pons dut s’exiler à Bruxelles en 1816 et ne fut autorisé à rentrer en France qu’en 1819. Sa bibliothèque fut vendue par le libraire Jacques-Simon Merlin (1765-1835), avec celle de Blanchon : Catalogue des livres de la bibliothèque de M. B. P. (Paris, Merlin, 1817, in-8).

Pendant son séjour à l’étranger, il fournit plusieurs contes en vers à L’Esprit des Journaux. Ce périodique, créé à Liège en 1772, puis publié sous la double adresse de Paris et de Liège entre 1782 et 1793, fut cédé à Charles-Auguste Weissenbruch (1744-1826) qui l’a continué à Bruxelles jusqu’en avril 1818.

Dans Le Savant, comédie-vaudeville en deux actes représentée pour la première fois au Théâtre du Gymnase le 22 février 1832, le savant professeur Reynolds, s’extasiant sur une édition de Pétrone imprimée par Robert Estienne, chante un couplet qui rappelle l’épigramme de Pons de Verdun (acte II, scène IV) :

« Avec tous les fragments nouveaux...
                                               Grand Dieu ! Quelle joie est la mienne !
                                               Que ces caractères sont beaux !
                                               Et c’est la bonne édition...
                                               Voici, page soixante-seize,
                                               Ces deux fautes d’impression
                                               Qui ne sont pas dans la mauvaise. »

L’auteur était le librettiste Eugène Scribe (1791-1861), de l’Académie française, qui vota contre l’admission de Victor Hugo. Dans ses Petits Mémoires de l’Opéra (Paris, Librairie Nouvelle, 1857, in-12, p. 283-284), Charles de Boigne (1808-1896) l’accuse, à juste titre, de plagiat : « La bibliothèque de M. Scribe n’est point un ramassis de livres achetés, empilés au hasard : les livres de M. Scribe lui ont rapporté mieux que quelques heures d’agréable loisir. » Le baron de Boigne, qui fut l’un des fondateurs du Jockey-Club, dut faire la grimace quand son club s’installa rue Scribe en 1863 !

Pons publia encore des pièces de vers intitulées Le Filleul et le Parrain ou la Question physiologique (Paris, Pollet, 1836, in-8). Il mourut à Paris le 7 mai 1844.

C’est ainsi que Pons de Verdun, qui « aurait laissé intacte la réputation d’un littérateur aimable, s’il n’avait pas eu la malheureuse fantaisie de devenir un personnage politique », dut à une seule épigramme d’être entré dans l’Histoire de la Bibliomanie.


le Bibliomane
Livres et Gravures
2, Avenue Trudaine - Paris (IX)








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